mardi 8 juillet 2014

Pourquoi la peinture ?

Caroline R
Je peins depuis plusieurs années en solitaire après avoir fréquenté plusieurs ateliers collectifs parisiens. Médecin, je consacre principalement mon activité à la douleur chronique. C’est au cours de mes études de médecine, en apprenant l’anatomie humaine, que j’ai découvert le plaisir de dessiner. Au fil des années, le goût pour les couleurs et la matière m’a logiquement conduite vers la peinture à l’huile. L’éléphant a été pendant quelques temps mon sujet exclusif d’exploration, parce qu’il se prêtait bien à mon souhait de ne choisir ni l’abstraction pure ni l’illustration exclusive, mais aussi parce qu’il représentait l’expression d’un parfait métissage de douceur, de fragilité et de force irrésistible teintée de mélancolie, parce que sa peau était tout à la fois une métaphore du vieillissement et un défi plastique et qu’il constituait une triste allégorie de la disparition, compte tenu de la menace qui pèse sur lui. Plusieurs voyages en Afrique de l’Est et la découverte du travail du photographe Peter Beard n’ont fait que conforter ce penchant. Les autres animaux en voie de disparition, rhinocéros, au derme aussi invraisemblable que l’ éléphant, et grands singes ont naturellement suivi. D’autant plus naturellement que mon intérêt pour la douleur des humains où l’on tente de soigner la première en essayant de penser les seconds, impliquait de réfléchir à l’empathie et, inversement à l’étrangeté. Après les photos d’Afrique de Peter Beard, les travaux sur l’empathie animale du primatologue et éthologue Frans de Waal ont fortifié mon souhait d’exprimer ce mystère si rassurant de l’animal.
Les peintres de Lascaux, Soutine, Sérusier, Dürer, Gauguin et bien d’autres nourrissent mes rêves.



vendredi 4 juillet 2014

 Les amis se reconnaitront









Lectures au contact des bêtes

La ménagerie entoilée a donc pris ses quartiers  d'été au Manoir de Plainartige chez Mike et Chantal ( www.manoirdeplainartige.com). Un superbe lion les attendait à l'entrée.

Jeudi 3 juillet 2014 ,  soir du vernissage, des textes de Milan Kundera (1), Romain Gary (2)et Louise Michel (3) ont été lus par des amis aux voix claires et talentueuses. Les bêtes les en remercient chaleureusement . Les autres espèces les ont écoutés avec plaisir. Les voici : 


                                                                    
 1)  Milan Kundera


« Tout au début de la Genèse, il est écrit que Dieu a créé l’homme pour qu’il règne sur les oiseaux, les poissons et le bétail. Bien entendu, la Genèse a été composée par un homme et pas par un cheval. Il n’est pas du tout certain que Dieu ait vraiment voulu que l’homme règne sur les autres créatures. Il est plus probable que l’homme a inventé Dieu pour sanctifier le pouvoir qu’il a usurpé sur la vache et le cheval. Oui, le droit de tuer un cerf ou une vache, c’est la seule chose sur laquelle l’humanité toute entière soit unanimement d’accord, même pendant les guerres les plus sanglantes.
Ce droit nous semble aller de soi parce que c’est nous qui nous trouvons au sommet de la hiérarchie. Mais il suffirait qu’un tiers s’immisce dans le jeu, par exemple un visiteur venu d’une autre planète dont le dieu aurait dit : « Tu règnerais sur les créatures de toutes les autres étoiles » et toute l’évidence de la Genèse serait aussitôt remise en question. L’homme attelé à un charroi par un Martien, éventuellement grillé à la broche par un habitant de la Voie lactée, se rappellera peut-être alors la côtelette de veau, qu’il avait coutume de découper sur son assiette et présentera (trop tard) ses excuses à la vache.
Tereza s’avance avec son troupeau de génisses, elle les pousse devant elle, il y en a toujours une qu’il faut gronder parce que les jeunes vaches sont de bonne humeur et s’écartent du chemin pour courir dans les champs.
Karénine (un chien) l’accompagne. Voilà deux ans qu’il la suit jour après jour au pâturage. D’habitude, ça l’amuse beaucoup de se montrer sévère avec les génisses, de leur aboyer après et de les injurier (son Dieu l’a chargé de règner sur les vaches et il en est fier). Mais aujourd’hui, il marche avec beaucoup de mal et sautille sur trois pattes; sur la quatrième, il a une plaie qui saigne. Toute les deux minutes, Tereza se penche pour lui caresser le dos. Quinze jours après l’opération, il est évident que le cancer n’est pas enrayé et Karénine ira de mal en pis.
En chemin, ils rencontrent une voisine qui se rend à l’étable, chaussée de bottes en caoutchouc. La voisine s’arrête : « qu’est ce qu’il a, votre chien ? On dirait qu’il boîte ! » Tereza répond : « il a un cancer. Il est condamné« , et elle sent sa gorge se serrer et elle a du mal à parler. La voisine aperçoit les larmes de Tereza et se met presque en colère : « Bon Dieu, vous n’allez tout de même pas pleurer pour un chien ! » Elle n’a pas dit ça méchamment, elle est brave, c’est plutôt pour consoler Tereza. Tereza le sait, elle habite le village depuis assez longtemps pour comprendre que si les paysans aimaient leurs lapins comme elle aime Karénine, ils ne pourraient en tuer aucun et ne tarderaient pas à crever de faim parmi leurs animaux. Pourtant la remarque de la voisine lui paraît hostile. « Je sais », répond-elle sans protester, mais elle s’empresse de se détourner et poursuit son chemin. Elle se sent seule avec son amour pour son chien. Elle songe avec un sourire mélancolique qu’elle doit le cacher plus jalousement que s’il fallait dissimuler une infidélité. L’amour qu’on porte à un chien scandalise. Si la voisine apprenait qu’elle trompait Tomas, elle lui taperait gaiement dans le dos d’un air complice !
Donc elle poursuit son chemin avec ses génisses qui se frottent les flancs l’une contre l’autre, et elle se dit que ce sont des bêtes très sympathiques. paisibles, sans malice, parfois d’une gaieté puérile : on croirait de grosses dames dans la cinquantaine qui feraient semblant d’avoir quatorze ans. Il n’est rien de plus touchant que des vaches qui jouent. Tereza les regarde avec tendresse et se dit (c’est une idée qui lui revient irrésistiblement depuis deux ans) que l’humanité vit en parasite de la vache comme le ténia vit en parasite de l’homme : elle s’est collée à leur pis comme une sangsue. L’homme est un parasite de la vache, c’est sans doute la définition qu’un non-homme pourrait donner de l’homme dans sa zoologie.
On peut voir dans cette définition une simple plaisanterie et en sourire avec indulgence. Mais si Tereza la prend au sérieux, elle s’engage sur une pente glissante : ces idées-là sont dangereuses et l’éloignent de l’humanité. Déjà dans la Genèse, Dieu a chargé l’homme de régner sur les animaux mais on peut expliquer cela en disant qu’il n’a fait que lui prêter ce pouvoir. L’homme n’était pas le propriétaire mais seulement le gérant de la planète, et il aurait un jour à rendre compte de sa gestion. Descartes a accompli le pas décisif : il a fait de l’homme « le maître et le possesseur de la nature » . Que ce soit précisément lui qui nie catégoriquement que les animaux ont des droits à une âme, voilà à coup sûr une profonde coïncidence. L’homme est le propriétaire et la maître tandis que l’animal, dit Descartes, n’est qu’un automate, une machine animée, une « machina animata » . Lorsqu’un animal gémit, ce n’est pas une plainte, ce n’est que le grincement d’un mécanisme qui fonctionne mal. Quand la roue d’une charrette grince, ça ne veut pas dire que la charrette a mal, mais qu’elle n’est pas graissée. Il faut interpréter de la même manière les plaintes de l’animal et il est inutile de se lamenter sur le chien qu’on découpe vivant dans un laboratoire.
Les génisses broutent dans une prairie, Tereza est assise sur une souche et Karénine est étendue à ses pieds, la tête posée sur ses genoux. Tereza se souvient d’une dépêche de deux lignes qu’elle a lue dans le journal voici une douzaine d’années : il était dit que dans une ville de Russie tous les chiens avaient été abattus. Cette dépêche, discrète et apparemment sans importance, lui avait fait sentir pour la première fois l’horreur qui émanait de ce trop grand voisin.
C’était une anticipation de tout ce qui est arrivé ensuite : dans les deux premières années qui suivirent l’invasion russe, on ne pouvait pas encore parler de terreur. Etant donné que presque toute la nation désapprouvait le régime d’occupation, il fallait que les Russes trouvent parmi les Tchèques des hommes nouveaux et les portent au pouvoir. Mais où les trouver, puisque la foi dans le communisme et l’amour de la Russie étaient chose morte ? Ils allèrent les chercher parmi ceux qui nourrissaient en eux le désir de se venger sur la vie. Il fallait souder, entretenir, tenir en alerte leur agressivité. Il fallait d’abord l’entraîner contre une cible provisoire. Cette cible se furent les animaux.
Les journaux commencèrent alors à publier des séries d’articles et à organiser des campagnes sous formes de lettres de lecteurs. Par exemple, on exigeait l’extermination des pigeons dans les villes. Exterminés, ils le furent bel et bien. Mais la campagne visait surtout les chiens. Les gens étaient encore traumatisés par la catastrophe de l’occupation, mais dans les journaux, à la radio, à la télé, il n’était question que des chiens qui souillaient les trottoirs et les jardins publics, qui menaçaient ainsi la santé des enfants et qui ne servaient à rien mais qu’il fallait pourtant nourrir. On fabriqua une véritable psychose, et Tereza redoutait que la populace excitée ne s’en prît à Karénine. Un an plus tard, la haine accumulée (d’abord essayée sur les animaux) fut pointée sur sa véritable cible : l’homme. Les licenciements, les arrestations, les procès commencèrent. Les bêtes pouvaient enfin souffler.
Tereza caresse la tête de Karénine qui repose paisiblement sur ses genoux. Elle se tient à peu près ce raisonnement : il n’y a aucun mérite à bien se conduire avec ses semblables. Tereza est forcée d’être correcte avec les autres habitants du village, sinon elle ne pourrait pas y vivre, et même avec Tomas, elle est obligée de se conduire en femme aimante car elle a besoin de Tomas. On ne pourra jamais déterminer avec certitude dans quelle mesure nos relation avec autrui sont le résultat de nos sentiments, de notre amour, de notre non-amour, de notre bienveillance ou de notre haine, et dans quelle mesure elles sont d’avance conditionnées par les rapports de force entre individus.
La vraie bonté de l’homme ne peut se manifester en toute pureté et en toute liberté qu’à l’égard de ceux qui ne représentent aucune force. Le véritable test moral de l’humanité (le plus radical, qui se situe à un niveau si profond qu’il échappe à notre regard), ce sont ses relations avec ceux qui sont à sa merci : les animaux. Et c’est ici que s’est produite la plus grande faillite de l’homme, débâcle fondamentale dont toutes les autres découlent.
Une génisse s’est approchée de Tereza, s’est arrêtée et l’examine longuement de ses grands yeux bruns. Tereza la connaît. Elle s’appelle Marguerite. Elle aurait aimé donner un nom à toutes ses génisses, mais elle n’a pas pu. Il y en a trop. Avant, il en était encore certainement ainsi voici une trentaine d’années, toutes les vaches du village avaient un nom. (Et si le nom est le signe de l’âme, je peux dire qu’elles en avaient une, n’en déplaise à Descarte). Mais le village est ensuite devenu une grande usine coopérative et les vaches passent toute leur vie dans leurs deux mètres carrés d’étable. Elles n’ont plus de nom et ce ne sont plus que des « machina animatae » . Le monde a donné raison à Descartes.
J’ai toujours devant les yeux Tereza assise sur une souche, elle caresse la tête de Karénine et songe à la déroute de l’humanité. En même temps, une autre image m’apparaît : Nietzsche sort d’un hôtel de Turin. Il aperçoit devant lui un cheval et un cocher qui le frappe à coups de cravache. Nietzsche s’approche du cheval, il lui prend l’encolure entre les bras sous les yeux du cocher et il éclate en sanglots.
Ça se passait en 1889 et Nietzsche s’était déjà éloigné, lui aussi, des hommes. Autrement dit : c’est précisément à ce moment-là que s’est déclarée sa maladie mentale. Mais selon moi, c’est bien là ce qui donne à son geste sa profonde signification. Nietzsche était venu demander au cheval pardon pour Descartes. Sa folie (donc son divorce d’avec l’humanité) commence à l’instant où il pleure sur le cheval.
Et c’est ce Nietzsche-là que j’aime, de même que j’aime Tereza, qui caresse sur ces genoux la tête d’un chien mortellement malade. Je les vois tous deux côte à côte : ils s’écartent tous deux de la route où l’humanité, « maître et possesseur de la nature« , poursuit sa marche en avant.
(Milan Kundera – L’insoutenable légèreté de l’être)
                            
                              
2) Romain Gary

Monsieur et cher éléphant,

Vous vous demanderez sans doute en lisant cette lettre ce qui a pu inciter à l’écrire un spécimen zoologique si profondément soucieux de l’avenir de sa propre espèce. L’instinct de conservation, tel est, bien sûr ce motif. Depuis fort longtemps déjà, j’ai le sentiment que nos destins sont liés. En ces jours périlleux "d’équilibre par la terreur", de massacres et de calculs savants sur le nombre d’humains qui survivront à un holocauste nucléaire, il n’est que trop naturel que mes pensées se tournent vers vous.

À mes yeux, monsieur et cher éléphant, vous représentez à la perfection tout ce qui est aujourd’hui menacé d’extinction au nom du progrès, de l’efficacité, du matérialisme intégral, d’une idéologie ou même de la raison car un certain usage abstrait et inhumain de la raison et de la logique se fait de plus en plus le complice de notre folie meurtrière. Il semble évident aujourd’hui que nous nous sommes comportés tout simplement envers d’autres espèces, et la vôtre en particulier, comme nous sommes sur le point de le faire envers nous-mêmes.

C’est dans une chambre d’enfant, il y a près d’un demi-siècle, que nous nous sommes rencontrés pour la première fois. Nous avons pendant des années partagé le même lit et je ne m’endormais jamais sans embrasser votre trompe, sans ensuite vous serrer fort dans mes bras jusqu’au jour où ma mère vous emporta en disant, non sans un certain manque de logique, que j’étais désormais un trop grand garçon pour jouer avec un éléphant. Il se trouvera sans doute des psychologues pour prétendre que ma "fixation" sur les éléphants remonte à cette pénible séparation, et que mon désir de partager votre compagnie est en fait une forme de nostalgie à l’égard de mon enfance et de mon innocence perdues. Et il est bien vrai que vous représentez à mes yeux un symbole de pureté et un rêve naïf, celui d’un monde où l’homme et la bête vivraient pacifiquement ensemble.

Des années plus tard, quelque part au Soudan, nous nous sommes de nouveau rencontrés. Je revenais d’une mission de bombardement au-dessus de l’Ethiopie et fis atterrir mon avion en piteux état au sud de Khartoum, sur la rive occidentale du Nil. J’ai marché pendant trois jours avant de trouver de l’eau et de boire, ce que j’ai payé ensuite par une typhoïde qui a failli me coûter la vie. Vous m’êtes apparu au travers de quelques maigres caroubiers et je me suis d’abord cru victime d’une hallucination. Car vous étiez rouge, d’un rouge sombre, de la trompe à la queue, et la vue d’un éléphant rouge en train de ronronner assis sur son postérieur, me fit dresser les cheveux sur la tête. Hé oui ! vous ronronniez, j’ai appris depuis lors que ce grondement profond est chez vous un signe de satisfaction, ce qui me laisse supposer que l’écorce de l’arbre que vous mangiez était particulièrement délicieuse.

Il me fallut quelque temps pour comprendre que si vous étiez rouge, c’est parce que vous vous étiez vautré dans la boue, ce qui voulait dire qu’il y avait de l’eau à proximité. J’avançai doucement et à ce moment vous vous êtes aperçu de ma présence. Vous avez redressé vos oreilles et votre tête parut alors tripler de volume, tandis que votre corps, semblable à une montagne disparaissait derrière cette voilure soudain hissée. Entre vous et moi, la distance n’excédait pas vingt mètres, et non seulement je pus voir vos yeux, mais je fus très sensible à votre regard qui m’atteignit si je puis dire, comme un direct à l’estomac. Il était trop tard pour songer à fuir. Et puis, dans l’état d’épuisement où je me trouvais, la fièvre et la soif l’emportèrent sur ma peur. Je renonçai à la lutte. Cela m’est arrivé à plusieurs reprises pendant la guerre : je fermais tes yeux, attendant la mort, ce qui m’a valu chaque fois une décoration et une réputation de courage.

Quand j’ouvris de nouveau les yeux, vous dormiez. J’imagine que vous ne m’aviez pas vu ou pire vous m’aviez accordé un simple coup d’oeil avant d’être gagné par le sommeil. Quoi qu’il en soit, vous étiez là ; la trompe molle, les oreilles affaissées, les paupières abaissées et, je m’en souviens, mes yeux s’emplirent de larmes. Je fus saisi du désir presque irrésistible de m’approcher de vous, de presser votre trompe contre moi, de me serrer contre le cuir de votre peau et puis là, bien à l’abri, de m’endormir paisiblement. Une impression des plus étranges m’envahit. C’était ma mère, je le savais, qui vous avait envoyé. Elle s’était enfin laissée fléchir et vous m’étiez restitué.

Je fis un pas dans votre direction, puis un autre... Pour un homme aussi profondément épuisé que j’étais en ce moment-là, il se dégageait de votre masse énorme, pareille à un roc, quelque chose d’étrangement rassurant. J’étais convaincu que si je parvenais à vous toucher, à vous caresser, à m’appuyer contre vous, vous alliez me communiquer un peu de votre force vitale. C’était l’une de ces heures où un homme a besoin de tant d’énergie, de tant de force qu’il lui arrive même de faire appel à Dieu. Je n’ai jamais été capable de lever mon regard aussi haut, je me suis toujours arrêté aux éléphants.

J’étais tout près de vous quand je fis un faux pas et tombai. C’est alors que la terre trembla sous moi et le boucan le plus effroyable que produiraient mille ânes en train de braire à l’unisson réduisit mon coeur à l’état de sauterelle captive. En fait, je hurlais, moi aussi et dans mes rugissements il y avait toute la force terrible d’un bébé de deux mois. Aussitôt après, je dus battre sans cesser de glapir de terreur, tous les records des lapins de course. Il semblait bel et bien qu’une partie de votre puissance se fût infusée en moi, car jamais homme à demi-mort n’est revenu plus rapidement à la vie pour détaler aussi vite En fait, nous fuyions tous les deux mais en sens contraires.

Nous nous éloignions l’un de l’autre, vous en barrissant, moi en glapissant, et comme j’avais besoin de toute mon énergie, il n’était pas question pour moi de chercher à contrôler tous mes muscles. mais passons là-dessus, si vous le voulez bien. Et puis, quoi, un acte de bravoure a parfois de ces petites répercussions physiologiques. Après tout, n’avais-je pas fait peur à un éléphant ?

Nous ne nous sommes plus jamais rencontrés et pourtant dans notre existence frustrée, limitée, contrôlée, répertoriée, comprimée, l’écho de votre marche irrésistible, foudroyante, à travers les vastes espaces de l’Afrique, ne cesse de me parvenir et il éveille en moi un besoin confus. Il résonne triomphalement comme la fin de la soumission et de la servitude, comme un écho de cette liberté infinie qui hante notre âme depuis qu’elle fut opprimée pour la première fois.

J’espère que vous n’y verrez pas un manque de respect si je vous avoue que votre taille, votre force et votre ardente aspiration à une existence sans entrave vous rendent évidemment tout à fait anachronique. Aussi vous considère-t-on comme incompatible avec l’époque actuelle. Mais à tous ceux parmi nous qu’écoeurent nos villes polluées et nos pensées plus polluées encore, votre colossale présence, votre survie, contre vents et marées, agissent comme un message rassurant. Tout n’est pas encore perdu, le dernier espoir de liberté ne s’est pas encore complètement évanoui de cette terre, et qui sait ? si nous cessons de détruire les éléphants et les empêchons de disparaître, peut-être réussirons-nous également à protéger notre propre espèce contre nos entreprises d’extermination.

Si l’homme se montre capable de respect envers la vie sous la forme la plus formidable et la plus encombrante - allons, allons, ne secouez pas vos oreilles et ne levez pas votre trompe avec colère, je n’avais pas l’intention de vous froisser - alors demeure une chance pour que la Chine ne soit pas l’annonce de l’avenir qui nous attend, mais pour que l’individu, cet autre monstre préhistorique encombrant et maladroit, parvienne d’une manière ou d’une autre à survivre.

Il y a des années, j’ai rencontré un Français qui s’était consacré, corps et âme, à la sauvegarde de l’éléphant d’Afrique. Quelque part, sur la mer verdoyante, houleuse, de ce qui portait alors le nom de territoire du Tchad, sous les étoiles qui semblent toujours briller avec plus d’éclat lorsque la voix d’un homme parvient à s’élever plus haut que sa solitude, il me dit : "Les chiens, ce n’est plus suffisant. Les gens ne se sont jamais sentis plus perdus, plus solitaires qu’aujourd’hui, il leur faut de la compagnie, une amitié plus puissante, plus sûre que toutes celles que nous avons connues.

Quelque chose qui puisse réellement tenir le coup. Les chiens, ce n’est plus assez. Ce qu’il nous faut, ce sont les éléphants". Et qui sait ? Il nous faudra peut-être chercher un compagnonnage infiniment plus important, plus puissant encore...

Je devine presque une lueur ironique dans vos yeux à la lecture de ma lettre. Et sans doute dressez-vous les oreilles par méfiance profonde envers toute rumeur qui vient de l’homme. Vous a-t-on jamais dit que votre oreille a presque exactement la forme du continent africain ? Votre masse grise semblable à un roc possède jusqu’à la couleur et l’aspect de la terre, notre mère. Vos cils ont quelque chose d’inconnu qui fait presque penser à ceux d’une fillette, tandis que votre postérieur ressemble à celui d’un chiot monstrueux.

Au cours de milliers d’années, on vous a chassé pour votre viande et. votre ivoire, mais c’est l’homme civilisé qui a eu l’idée de vous tuer pour son plaisir et faire de vous un trophée. Tout ce qu’il y a en nous d’effroi, de frustration, de faiblesse et d’incertitude semble trouver quelque réconfort névrotique à tuer la plus puissante de toutes les créatures terrestres. Cet acte gratuit nous procure ce genre d’assurance "virile" qui jette une lumière étrange sur la nature de notre virilité.

Il y a des gens qui, bien sûr, affirment que vous ne servez à rien, que vous ruinez les récoltes dans un pays où sévit la famine, que l’humanité a déjà assez de problèmes de survie dont elle doit s’occuper sans aller encore se charger de celui des éléphants. En fait, ils soutiennent que vous êtes un luxe que nous ne pouvons plus nous permettre.

C’est exactement le genre d’arguments qu’utilisent les régimes totalitaires, de Staline à Mao, en passant par Hitler, pour démontrer qu’une société vraiment rationnelle ne peut se permettre le luxe de la liberté individuelle. Les droits de l’homme sont, eux aussi, des espèces d’éléphants. Le droit d’être d’un avis contraire, de penser librement, le droit de résister au pouvoir et de le contester, ce sont là des valeurs qu’on peut très facilement juguler et réprimer au nom du rendement, de l’efficacité, des "intérêts supérieurs" et du rationalisme intégral.

Dans un camp de concentration en Allemagne, au cours de la dernière guerre mondiale, vous avez joués, monsieur et cher éléphant, un rôle de sauveteur. Bouclés derrière les barbelés, mes amis pensaient aux troupeaux d’éléphants qui parcouraient avec un bruit de tonnerre les plaines sans fin de l’Afrique et l’image de cette liberté vivante et irrésistible aida ces concentrationnaires à survivre. Si le monde ne peut plus s’offrir le luxe de cette beauté naturelle, c’est qu’il ne tardera pas à succomber à sa propre laideur et qu’elle le détruira... Pour moi, je sens profondément que le sort de l’homme, et sa dignité, sont en jeu chaque fois que nos splendeurs naturelles, océans, forêts ou éléphants, sont menacées de destruction.

Demeurer humain semble parfois une tache presque accablante ; et pourtant, il nous faut prendre sur nos épaules au cours de notre marche éreintante vers l’inconnu un poids supplémentaire : celui des éléphants. Il n’est pas douteux qu’au nom d’un rationalisme absolu il faudrait vous détruire, afin de nous permettre d’occuper toute la place sur cette planète surpeuplée. Il n’est pas douteux non plus que votre disparition signifiera le commencement d’un monde entièrement fait pour l’homme. Mais laissez-moi vous dire ceci, mon vieil ami : dans un monde entièrement fait pour l’homme, il se pourrait bien qu’il n’y eût pas non plus place pour l’homme. Tout ce qui restera de nous, ce seront des robots. Nous ne réussirons jamais à faire de nous entièrement notre propre oeuvre. Nous sommes condamnés pour toujours à dépendre d’un mystère que ni la logique ni l’imagination ne peuvent pénétrer et votre présence parmi nous évoque une puissance créatrice dont on ne peut rendre compte en des termes scientifiques ou rationnels, mais seulement en termes où entrent teneur, espoir et nostalgie. Vous êtes notre dernière innocence.

Je ne sais que trop bien qu’en prenant votre parti - mais n’est-ce pas tout simplement le mien ? - je serai immanquablement qualifié de conservateur, voire de réactionnaire, "monstre" appartenant à une autre évoque préhistorique : celle du libéralisme. J’accepte volontiers cette étiquette en un temps où le nouveau maître à penser de la jeunesse française, le philosophe Michel Foucault, annonce que ce n’est pas seulement

Dieu qui est mort disparu à jamais, mais l’Homme lui-même, l’Homme et l’Humanisme.

C’est ainsi, monsieur et cher éléphant, que nous nous trouvons, vous et moi, sur le même bateau, poussé vers l’oubli par le même vent puissant du rationalisme absolu. Dans une société, vraiment matérialiste et réaliste, poètes, écrivains, artistes, rêveurs et éléphants ne sont plus que des gêneurs.

Je me souviens d’une vieille mélopée que chantaient des piroguiers du fleuve Chari en Afrique centrale.

Nous tuerons le grand éléphant

Nous mangerons le grand éléphant

Nous entrerons dans son ventre

Mangerons son coeur et son foie...

(..) Croyez-moi votre ami bien dévoué.

Romain Gary

                                 


                                    
3) Louise Michel





vendredi 20 juin 2014

EXPOSITION DE L' ETE DANS LE LIMOUSIN AU MANOIR DE PLAINARTIGE

Exposition Caroline R  Animaux et autres Espèces
     Manoir de Plainartige
         87120 NEDDE

Vernissage le jeudi 3 juillet 2014 à partir de 18h et lectures au contact des bêtes

Visites sur rendez vous du 4 juillet au 30 septembre au  Manoir de Plainartige (http://www.manoirdeplainartige.com/

Tel : 05 55 69 95 22 ou 06 02 50 90 48 

samedi 4 janvier 2014

Quelques grands singes et rhinocéros ont fait le voyage en Normandie ...

Certains n'en sont pas revenus....









mardi 29 octobre 2013



PROCHAINE EXPOSITION À LA HALLE DE LYONS LA FORET  ( 27 ) , LES 14 ET 15 DÉCEMBRE 2013 , QUELQUES NOUVEAUX ANIMAUX EN VOIE DE DISPARITION ...

vendredi 25 octobre 2013

 

Caroline R

ANIMAUX ET QUELQUES AUTRES ESPECES

 Une première et petite exposition à Paris en septembre  2013 pour montrer quelques animaux en voie de disparition et quelques spécimens d'une autre espèce, rêveuse , et déjà nostalgique ….




                                                    146 x 97 cm    Huile sur toile  


"L'éléphant, incomparable enfonceur de portes fermées ..."  comme le dit si bien Henri  Roorda  !  Un grand format pour cette bête appliquée et vigilante, histoire de se donner du courage...











20 x 20 cm  huiles sur toile




16 X 22 cm huile sur toile




30 x 40 cm Huile sur toile



Narcisse I
Narcisse II


                                                                      16 x 22 cm  Huiles sur toile







LEZARDER...


81 x 60 cm Huile sur toile 

LEZARDER ENCORE ....

81 x 60 cm Huile sur toile

Un peu d'absolu dans la mare aux grenouilles
                            81 x 60 cm Huile sur toile 




16 X 22 Huile sur toile



Diptyque 20 x 20 cm Huile sur toile



61 x 38 cm  Huile sur toile


                                 

                                                      100 x 65 cm Huile sur toile

Quelques autres espèces ........





35 x 24 cm  Huile sur toile


65 x 50 cm Huile sur toile


65 x 50 cm Huile sur toile


81 x 65 cm Huile sur toile



                                                  55 x 46 cm Huile sur toile



                                                             65 x 50 cm Huile sur toile